Enseignements artistiques : jusqu’où va l’égalité des chances ?

Territoires

À l’heure où la ministre de l’Éducation nationale nomme un délégué ministériel aux parcours d’excellence pour compenser les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur et lutter contre une forme d’autocensure que peuvent reproduire certains jeunes, on peut s’interroger sur ce que le ministère de la culture et les collectivités ont mis en œuvre pour que cette égalité des chances soit concrète dans nos établissements, dans l’enseignement supérieur et dans les différents métiers artistiques.

Certaines politiques publiques portées par les collectivités ont été très ambitieuses pour démocratiser l’accès à nos établissements : interventions artistiques en milieu scolaire, dispositifs CHAM en quartier REP ou REP+, politiques de tarifs différenciés, parc de prêts d’instruments, aménagement ou constructions d’antennes pour se rapprocher des habitants, accueil d’élèves dans des studios de travail, partenariats avec d’autres structures territoriales ou associatives, politiques ambitieuses d’action culturelle et politique de la ville. Les établissements d’enseignement artistique ont su réinterroger leur offre afin de répondre et s’adapter aux nouveaux enjeux culturels éducatifs et sociaux, se traduisant par l’évolution de la demande des politiques et usagers. Les projets des établissements ont évolué, se sont modernisés et différenciés pour s’adapter à leur territoire. C’est cette conjonction qui a permis une démocratisation d’accès à nos établissements, aboutissant même dans certains cas à une réelle adéquation entre la sociologie de la ville et celle du conservatoire, tout au moins dans les premiers cycles. Mais qu’en est-il en 2nd cycle, en 3ème cycle amateur, voire en cycle d’orientation professionnelle (C.O.P.) ? Plus on avance dans les cursus, plus les inégalités sont flagrantes. Il n’existe rien d’ambitieux au plan national, ni dans l’engagement des régions pour y pallier. Or on ne pourra parler d’égalité des chances que lorsque cette représentativité se retrouvera chez les étudiants qui choisiront des études supérieures pour devenir artiste musicien/danseur/comédien, enseignant ou intervenant à l’école. Et elle sera complète lorsque ces mêmes étudiants entreront dans la vie active en accédant aux différents métiers d’artistes ou enseignants. Nous en sommes hélas encore très loin…

Pendant ce temps, dans l’enseignement supérieur « général » et notamment autour des grandes écoles ou universités, des initiatives de plus en plus ambitieuses sont soutenues par les pouvoirs publics pour lutter contre l’autocensure des jeunes, en visant à leur donner concrètement les moyens d’accéder aux études supérieures. Des formateurs ou directeurs ont compris la nécessité pour un jeune se sentant exclu du système de pouvoir s’identifier à des « modèles vivants » de niveau et de réussite, et de travailler en étant stimulé par des jeunes ayant déjà passé le pas. Au-delà des bourses, les porteurs de projets ont bien compris qu’il fallait se rapprocher des adolescents, et installer ces dispositifs au sein même des lycées, là où sont les jeunes et où leur avenir se joue.

Alors, lorsque le ministère de la culture prépare au plus haut niveau de l’État (projet de loi relatif à la création en 2ème lecture au sénat) une réforme majeure des enseignements prévoyant de séparer les établissements contrôlés d’enseignement artistique de l’enseignement pré-supérieur (et accrocher celui-ci semble-t-il à quelques pôles supérieurs), on en est abasourdi. Au lieu de travailler sur les logiques d’égalité des chances qui commencent à faire leurs preuves, cette refonte créerait un fossé entre d’une part le travail au quotidien des conservatoires et d’autre part l’accessibilité à un enseignement supérieur. En programmant la disparition du cycle d’orientation professionnelle intégré aux conservatoires contrôlés par l’État au profit d’un enseignement « préparatoire à l’enseignement supérieur », de type classe préparatoire non diplômante et raccrochée prioritairement à des pôles supérieurs, l’État fait le choix inverse de ce qui pouvait encourager une véritable égalité des chances.

Quid alors des conservatoires contrôlés et de tout ce qui a été mis en place comme projets innovants pour réformer tout en élargissant les missions et les publics ? Les jeunes lycéens seraient–ils en mesure de définir si jeunes un projet professionnel qui occasionne autant de bouleversements, parfois loin de chez eux, tout en poursuivant leurs études générales ? Comment les soutenir et les accompagner dans un choix pareil qu’on sait parfois fragile ? Et comment à la fois stimuler les plus jeunes si plus aucun élève en C.O.P. n’étudie au conservatoire et vaincre la réticence de parents ? En créant ainsi la rareté, ne verra-t-on pas fleurir des classes préparatoires « sauvages » et coûteuses sur les territoires laissés vacants ?

L’égalité des chances est une des valeurs de notre république : en s’attachant à la favoriser dans l’enseignement supérieur, les pouvoirs publics et les acteurs éducatifs ont montré que cette lutte contre l’autocensure est à mener tout au long de la vie scolaire et étudiante. L’enseignement supérieur artistique serait-il exempt de cette nécessité ? La démocratisation d’accès à la culture s’arrête-t-elle aux premières années de pratique artistique, réservant la possibilité d’une professionnalisation aux seul(e)s jeunes issu(e)s de familles initiées ou aisées ? En supprimant les cycles d’orientation professionnelle au sein des conservatoires contrôlés, l’État ne prend-il pas le risque de mettre en place un enseignement supérieur de caste ?

 

Marie Delbecq

Directrice du CRC de Bondy (93)