Dans le cadre du projet de loi « Liberté de Création, Architecture et Patrimoine », le gouvernement a récemment déposé un amendement permettant l’exposition des pratiques artistiques en amateur « sans pour autant fragiliser la présomption de salariat ni constituer une concurrence déloyale vis-à-vis des artistes professionnels ». Cet amendement, adopté par la commission des affaires culturelles en charge d’étudier le projet de loi et d’examiner les amendements déposés, fait l’objet d’une pétition du SFA-CGT qui, y voyant une fragilisation des professionnels du spectacle demande la suppression de cet amendement .
Pourquoi l’association Conservatoires de France ne signe-t-elle pas cette pétition ?
CdF trouve en effet cet amendement plus que bienvenu même si c’est politiquement incorrect dans un contexte où chacun se méfie toujours de tout et, du coup, refuse tout (même si c’est parfois utile).
Cet amendement ouvre enfin la voie au règlement d’une question qui empoisonne la vie culturelle depuis le décret de 1953 sur l’encadrement des pratiques artistiques en amateur (jamais vraiment appliqué et, de ce fait, faisant en sorte que la situation actuelle est bien pire pour les professionnels que ce qui est prévu dans l’amendement). Par ailleurs, il reprend l’essentiel des débats qui avaient fini par faire consensus (y compris avec les organisations syndicales d’artistes) dans les années 1999-2000 et est une très belle avancée par rapport au projet de loi qui avait émergé des discussions conduites en 2005 dans le cadre des réunions du Conseil national des professions du spectacle (CNPS).
En effet si ce projet de loi — élaboré en 2007 par la DMDTS — donnait bien une définition claire de l’amateur et établissait de façon précise les deux cadres principaux de la pratique amateur (lucratif/non lucratif), la formulation de l’article concernant le cadre lucratif était particulièrement alambiquée et prenait en compte la situation des enfants d’âge scolaire.
Le caractère dérogatoire n’apparaissait pas de prime abord et la question des «4P» (Produit/Prix/Public/Publicité) restait posée et source de fragilité juridique.
Dans la formulation proposée au travers de l’amendement, c’est le régime dérogatoire qui est posé par principe et il n’est plus dit, comme c’était le cas dans l’article 2 du projet de loi de 2007, que « Lorsqu’un amateur ou un groupement d’amateurs participent à un spectacle organisé dans un cadre lucratif au sens de l’article L.324-11 du code du travail, leur prestation fait l’objet de contrats de travail et leur participation à ces spectacles relève des règles du code du travail ».
Contrairement à ce qui est suggéré dans le communiqué du SFA, à l’initiative de cette pétition, il ne s’agit pas de transformer les artistes professionnels en amateurs bénévoles mais au contraire de préciser dans quelles conditions les amateurs (ce qui concerne aussi les élèves de conservatoire ou les étudiants) peuvent participer à des spectacles aux côtés de professionnels, ce qui est indispensable à leur perfectionnement. Par ailleurs, il est précisé que les recettes de billetterie générées par ce type d’opération ne peuvent servir qu’à couvrir les frais engagés pour leur organisation (donc aussi pour la rémunération des artistes et techniciens) et pour l’accompagnement de ces amateurs. Cela exclut donc des dispositions les spectacles à vocation « commerciale » contrairement à ce que prétend le texte de la pétition. Enfin, puisqu’il s’agit ici de sauvegarder ou de développer l’emploi des professionnels, pourrait-on comptabiliser le nombre d’emplois d’artistes et de techniciens qui sont générés par des groupements d’amateurs ou des établissements de formation et qui font appel à des professionnels (rémunérés) et qui, sans cette possibilité de se produire à leurs côtés, annuleraient purement et simplement ces engagements ?
Bien entendu, la loi renvoie (et c’est normal) à un décret les précisions indispensables (nombre de spectacles annuels maximum organisés dans ces conditions, modalités de vérification des budgets et des conditions sociales d’emploi, communication mentionnant le recours à des amateurs, nature des actions pédagogiques qui conditionnent la participation bénévole des amateurs etc.).
C’est donc bien au moment des discussions sur ce décret qu’il faudra être vigilant.
En tout état de cause, la pétition parait, d’une part, manquer de rigueur vis-à-vis de ce qu’elle prétend dénoncer, d’autre part, être contraire aux intérêts de milliers de professionnels dont l’accompagnement de projets issus de la pratique amateur constitue un volume très important de travail rémunéré !