Handicap vs special needs : enseignement musical et handicap en Europe

Territoires

Depuis une décennie, la question de l’accès des établissements d’enseignement artistique aux personnes en situation de handicap prend à juste titre une importance grandissante. Philippe Dalarun, président de l’European Music School Union (EMU), en évoque quelques aspects du point de vue européen.

Le poids des mots

Le terme « handicap » existe dans de nombreuses langues européennes.
Mais au détour de conférences dans cet espéranto moderne qu’est l’anglais ou de discussions avec des collègues étrangers, on découvre rapidement que ce vocable est à manier avec précaution. Pourtant l’origine du mot est bel et bien anglaise (hand in cap) : elle fait référence à une coutume ancienne permettant de rétablir une certaine équité dans une transaction entre deux individus d’inégale force. Cette notion est encore employée en sport, dans une course à handicap ou dans le classement des joueurs de golf.

Si en France on ne parle plus officiellement de handicapés,ni même de personnes handicapées, mais de personnes en situation de handicap, le terme « handicap » reste cependant présent au détour de cette périphrase qui a le mérite d’élargir la notion à son contexte professionnel ou social. Mais dès les frontières de l’Hexagone franchies, on parlera moins de « handicapped people » que de « disabled person » ou en italien de « persona disabile ». Plus souvent encore, dans le champ de l’enseignement artistique, on emploiera la notion de « students with special needs » (élèves avec des besoins spécifiques).
Comme m’a dit un jour un excellent collègue italien : « Je ne parle pas anglais. Dans une conférence européenne où l’anglais est la langue commune, je suis handicapé. En revanche, dans mon école tout le monde fait de la musique. Simplement, certains ont des besoins spécifiques pour pouvoir la pratiquer. C’est mon rôle d’y veiller. »

Cette approche m’a beaucoup fait réfléchir, et m’a laissé penser qu’avec la meilleure volonté du monde, notre pays réussissait là encore à cloisonner, à catégoriser, à enfermer, ne serait-ce que par le vocabulaire. Dommage, quand il s’agit d’intégration et d’égalité…

En quelques années, la question du handicap est devenue prégnante dans le champ de l’enseignement artistique en Europe

La situation a en effet commencé à évoluer, d’une part sous l’influence des institutions européennes elles-mêmes, faisant le constat que 16% de la population de l’UE souffre d’un handicap léger ou lourd, soit 80 millions de personnes, pour qui le taux de chômage est deux fois plus élevé que la moyenne ; d’autre part sous la pression des politiques nationales et locales, incitant nos établissements à accueillir de « nouveaux publics », au premier rang desquels et par principe d’égalité les personnes en situation de handicap ; enfin grâce à l’action d’associations et de professionnels militant avec conviction pour que les choses bougent. Cependant les défis sont de taille, non seulement du point de vue de l’accessibilité des bâtiments mais aussi et surtout en termes de projets pédagogiques et de formation des équipes.

Initiatives locales et force des réseaux

L’European Music School Union (EMU) a pris le sujet à bras le corps grâce à l’échange d’information et d’expériences que permet son vaste réseau.

L’EMU : 26 associations nationales, 6 000 établissements représentant 150 000 professionnels et 4 millions d’élèves

L’EMU organise en outre à travers l’Europe des séminaires à destination des équipes pédagogiques, avec la participation d’experts de différentes nationalités. Le dernier en date, à Nice en octobre 2018, en partenariat avec la Fédération Française de l’Enseignement Artistique (FFEA) et le conservatoire de Nice, a notamment permis à Jacques Cordier de présenter le travail qu’il mène au conservatoire de Grenoble. La France sait aussi être en pointe sur le sujet, mais les initiatives locales sont encore mal connues et les réseaux tels que Conservatoires de France, la FFEA, la FNAPEC et d’autres ont un rôle important à jouer en la matière.
Enfin, l’EMU promeut des initiatives particulièrement significatives en Europe. Ainsi l’école italienne de Mirandola en Emilie-Romagne produit-elle un travail remarquable. Sur un millier d’élèves, elle en accueille cent cinquante en situation de handicap, parfois lourd. Son directeur (celui qui ne parle pas anglais !) veut en faire un centre européen de recherche et de formation, associant pédagogues, familles, mais aussi équipes médicales et universitaires. En juillet 2019, il organisera un symposium international, qui lancera l’une des thématiques de l’EMU pour les années à venir.
Un autre projet notable associe sept institutions d’Allemagne, Autriche, Finlande et Lithuanie. Intitulé « Inclusive Pedagogy in Arts » et financé en partie avec le programme « Erasmus + », il vise à développer une démarche d’égalité pour les étudiants ayant des besoins spécifiques, qu’il s’agisse de personnes en situation de handicap, d’immigrés ou encore de personnes âgées. On retrouve ici l’idée que le handicap n’est pas pensé comme un sujet à part, mais comme faisant partie d’une pédagogie inclusive au sens large. L’objectif est ambitieux : promouvoir un nouveau modèle d’établissement d’enseignement artistique en Europe.

En l’absence d’observatoire européen sur le sujet, l’European Music School Uniontente donc d’apporter sa contribution en soutenant ou faisant connaître de telles initiatives, mais aussi en produisant des statistiques que l’on peut retrouver sur son site Internet www.musicschoolunion.eu. Malgré l’aspect schématique de telles études, l’EMU fait ainsi le constat qu’aujourd’hui 17 pays parmi ses membres proposent, souvent partiellement, un enseignement spécifique à destination des personnes en situation de handicap, contre 2 qui n’en proposent pas et 6 qui ne se prononcent pas, dont la France. Il reste donc du travail à l’échelon national et européen, même si de passionnants projets se développent ici et là !

Mais le principal enseignement de ces observations, c’est que si les politiques européennes ou nationales permettent de sensibiliser et de faire évoluer les mentalités, rien ne se fera réellement sans la motivation et la créativité des acteurs de terrain ni la force des réseaux.
Et cela dépend de chacun d’entre nous !

Philippe Dalarun
Président de l’European Music school Union