Le 27 mars, deux semaines après le début du confinement, une directrice nous fait part de ses sentiments mitigés face à la solitude et au silence.
Alors que le vendredi 13 mars j’informais les élèves CHAM qu’on fermait et qu’ils allaient bien nous manquer, Sadio me rassure : « vous inquiétez pas , Madame, on viendra vous faire des coucou par la fenêtre ! ».
Pauvre fenêtre privée de lumière et du sourire de Sadio.
Deux semaines entières chez moi à me battre avec mon vieil ordi, sans raccordement au « commun» du territoire, sans I MUSE, où le moindre tableau excel à renseigner me fiche le bourdon, à me battre contre les éléments, sans limite de temps et parfois la nuit quand la messagerie est accessible.
Deux semaines passées à déconstruire administrativement ce qui était en ciment… et reconstruire en sable.
Que dire de cette solitude asséchante, après 29 ans à travailler porte ouverte en pleine polyphonie, à être joyeusement interrompue par les uns et les autres, à construire et partager collectivement au quotidien avec les collègues et les élèves.
Et que dire du silence , alors que ma nourriture pendant 29ans était musicale et humaine ? Pas une note de musique (il va le passer, son fa dièse?) , pas un rythme frappé (o passo au dessus de mon bureau), pas un éclat de rire ni un coup de gueule. Certes le calme de bon matin au conservatoire avait ses vertus, mais uniquement parce qu’il était momentané !
Une jalousie féroce s’empare de moi : je suis jalouse de tous ces profs formidables qui ont construit un lien, un échange, une pratique musicale partagée à distance avec leurs élèves … Certes, pour certains c’est avec les moyens du bord mais je sais par leurs témoignages combien ils s’en nourrissent malgré les aspects chronophages et inégalitaires. Quelle gratitude j’ai pour ceux et celles qui m’envoient des petites vidéos de leurs élèves* ou du cours virtuel en CP fait par le musicien intervenant et son collègue Professeur des écoles. Chacune de ces vidéos agit sur moi comme un dopant : les élèves existent encore !
Empruntant à l’envers une vieux slogan publicitaire que les plus jeunes ne peuvent pas connaître**, je disais parfois à des élèves désengagés : « un professeur ne s’use que si on ne s’en sert pas ».
Et le directeur ?
Marie Delbecq
Directrice du CRC de Bondy (93)
* Que je m’empresse d’effacer
** Wonder, la pile qui ne s’use que si l’on s’en sert