En décembre 2017, « l’association française des maîtres de danse classique » adressait à Madame la ministre de la culture une lettre sous forme de pétition sous le titre « Sauvons l’enseignement de la danse classique ». Relayant ses propos, la revue Danse R publiait en janvier 2018 un article intitulé « enseignement de la danse, comment en est-on arrivé là ? », dont la virulence a fait réagir le conseil d’administration de conservatoires de France, sous la plume de Viviane Serry.
Madame, Monsieur
Il est très difficile de comprendre ce qui vous a motivé pour lancer la pétition AFMDC « sauvons l’enseignement de la danse classique en France » et pour rédiger l’article du magazine DANSE R « Enseignement de la danse, Comment en est-on arrivé là ? » alors que vous revendiquez l’un et l’autre défendre cet art.
Les critiques, les propos empreints d’aigreur au parfum réactionnaire, les attaques nominatives de nombreuses personnalités qui ont permis la vitalité et l’évolution de la danse en France depuis la fin du siècle dernier, ainsi que les sous-entendus à la limite de la diffamation que vous énoncez notamment dans la revue DANSE R, ont peu de chance de contribuer à forger une image positive de la danse classique.
Toute forme d’art de la scène se nourrit pour durer du travail, de la sensibilité et de la créativité des artistes contemporains qui la font vivre et évoluer, qu’ils en soient auteurs ou interprètes.
Contrairement à ce que vous énoncez, nous pensons que les valeurs de la danse classique sont intemporelles, nécessaires, et ne se limitent pas à la reproduction « de pas », d’un vocabulaire académique ou d’une « école » qui seraient figés dans le temps.
Brigitte Lefèvre a eu l’intelligence d’inviter de nombreux chorégraphes contemporains au sein de l’Opéra de Paris et d’encourager de jeunes artistes formés à l’exigence de cette grande maison à créer leur propre danse. D’autres compagnies françaises dites classiques l’avaient déjà fait avant – le ballet de l’Opéra de Lyon par exemple – faisant tomber les barrières entre les esthétiques classique et contemporaine et permettant ainsi à de jeunes danseurs formés à la danse « académique » de défendre sur scène une danse créative et vivante en même temps que les grandes pièces du répertoire. Et c’est cette ouverture qui leur a permis de « sauver » ces compagnies et d’assurer leur rayonnement international au même titre que des compagnies dites « contemporaines » françaises ou étrangères qui recrutent leurs interprètes parmi des danseurs formés à la danse classique.
Des artistes comme Mikhaïl Barychnikov, Sylvie Guillem et bien d’autres ont été de formidables ambassadeurs internationaux de la danse classique grâce entre autre aux chorégraphes contemporains qui les ont choisis comme interprètes pour leur talent et leur technique.
Le fait qu’un jeune chorégraphe, Julien Ficely, formé à la danse classique – ayant été danseur dans des grandes compagnies françaises, dont l’Opéra du Rhin et le CCN-Ballet de Lorraine – ait été choisi par le Ministère de la culture pour chorégraphier les deux variations diplômantes en classique des conservatoires en 2018, est un signe très fort et porteur d’espoir pour ces jeunes élèves qui peuvent ainsi revendiquer leur héritage académique tout en se projetant dans l’interprétation d’une chorégraphie exigeante et résolument contemporaine. Car c’est bien ce qu’ils rencontreront en tant que danseurs professionnels s’ils ont la chance de pouvoir aller au bout de leur projet.
Nous vous rejoignons lorsque vous affirmez « c’est bien pour eux, pour ces jeunes, qu’il est urgent de modifier de fond en comble ce système de l’enseignement de la danse obsolète, à bout de souffle. »
Mais il semblerait que ce à quoi vous aspirez soit à l’opposé du chemin que nous souhaitons emprunter.
Ce sont des artistes que nous devons révéler à eux-mêmes dans nos conservatoires, et non de simples techniciens, qu’ils se destinent à être professionnels ou amateurs – oui, c’est une réalité, la majorité de nos élèves seront des amateurs – et quelle que soit leur expression artistique, musique, danse ou théâtre.
L’apogée de la danse classique a eu lieu au siècle dernier. L’enseignement de la danse dans les conservatoires s’est limité pendant des dizaines d’années à un enseignement de la technique classique. Ce n’est qu’avec l’arrivée de la danse contemporaine dans ces établissements que des ateliers d’improvisation, de composition sont introduits dans les cursus d’études, mais ils sont encore trop souvent réservés aux seuls danseurs contemporains. Pour éviter que la danse classique ne disparaisse de nos établissements il faut bien évidemment défendre l’exigence de cette formation technique spécifique, mais il faut également encourager la créativité de tous nos élèves, qu’ils soient danseurs contemporains ou classiques, et leur permettre de se confronter à des chorégraphes d’aujourd’hui car c’est la vitalité de la création chorégraphique dans chaque esthétique qui garantira son avenir.
Pour le conseil d’administration de Conservatoires de France,
Viviane Serry
Directrice du Conservatoire de Nantes