Gros temps sur les conservatoires

Évènement
Confrontés depuis une petite semaine à une situation tout aussi inédite qu’angoissante, les équipes pédagogiques de nos établissements se mobilisent avec détermination et font preuve d’inventivité et de créativité pour maintenir un lien pédagogique avec leurs élèves.
Les directeurs et directrices, quant à eux, déjà habitués à faire face à des injonctions paradoxales, maintiennent autant qu’ils le peuvent, la stabilité de leur établissement : rassurer, accompagner, informer, prioriser, gérer les angoisses, les « pertes de contrôle » des agents et usagers, les demandes subites de sa hiérarchie, faire face aux urgences, découvrir de nouvelles problématiques posées par de nouvelles situations…
« J’ai l’impression de tenir la barre d’un navire en pleine tempête, de me prendre les vagues en pleine face sans les voir venir et d’avancer sans aucune vision des futures conditions météorologiques … »

Tout à coup, tout s’arrête : les écoles ferment, les conservatoires aussi, après quelques heures, voire quelques jours d’incertitude. Tout s’arrête ? pas vraiment car, dans chaque établissement, dans chaque collectivité, les équipes pédagogiques se mobilisent à l’instar de celles de l’Education Nationale (mais de façon beaucoup plus dispersée, moins coordonnée puisque, contrairement aux écoles qui dépendent toutes d’un même ministère, dont l’organisation hiérarchique peut être d’une redoutable efficacité, chaque conservatoire réagit en fonction d’un contexte territorial très variable d’un établissement à l’autre). Et cette mobilisation répond à une unique question : comment garder un lien pédagogique avec nos élèves?

Petit à petit, au fur et à mesure de la prise de conscience quant à la gravité de la situation et de sa durée possible, les objectifs affichés changent, et se concentrent sur ce qui parait essentiel. On ne parle plus de continuer l’enseignement à distance, ni de préparer les examens, mais plutôt de garder un lien et de favoriser la pratique des élèves confinés chez eux.

Un grand mouvement de coopération se met en route, notamment via les réseaux sociaux, pour échanger idées et exemples, outils et supports. Conservatoires de France, grâce à la réactivité et les compétences numériques de certains de ses membres réalise un document recensant les outils existants (avec quelques explications d’utilisation pour les moins aguerris aux pratiques numériques), document qui fait rapidement le tour des équipes, se nourrissant des expériences de chaque contributeur. Les enseignant.e.s ne sont pas en reste et partagent à tout va, sur une page dédiée, idées et expériences.

Mais parallèlement à ce bouillonnement pédagogique, les directeurs et directrices sont aussi confrontés à des questions de tous ordres auxquelles il leur faut trouver réponses et solutions, dans un contexte tout à fait inhabituel mais avec un positionnement qui leur est familier : pris en sandwich entre les demandes venues d’en haut (la hiérarchie, la collectivité, les services…) et les besoins émergeant de leur équipe pédagogique et des usagers. On a souvent comparé le responsable d’établissement à un équilibriste, marchant sur un fil dans un équilibre précaire aggravé par le poids de multiples tâches qui reposent sur lui : cette image est toujours vraie, mais aujourd’hui, il a en plus, de fortes rafales de vent qui accentuent son instabilité…

Aux questions pédagogiques, largement débattues dans les différentes instances, s’ajoutent des questions

  • Managériales : comment garder le lien avec l’ensemble d’une équipe pédagogique dont le quotidien est également perturbé ? Comment assurer une cohérence d’ensemble et contrôler l’incontrôlable ? Comment aller chercher ceux qui ne se sont pas manifesté et n’arrivent pas à se joindre au mouvement général ? Comment faire entendre à tous la nécessité d’être à la disposition de la collectivité ?
  • Techniques et matérielles : les outils proposés sont-ils utilisables par tous, professeurs et élèves ? Les moyens techniques sont-ils suffisants ? Pendant la fermeture, comment assurer la maintenance du bâtiment, des instruments ?
  • De gestion RH : si le personnel titulaire est bien protégé, qu’en est-il des remplaçants, des vacataires ? Que vont devenir les heures complémentaires ou supplémentaires ?
  • Déontologiques : la généralisation de propositions pédagogiques à distance ne va-t-elle pas amplifier la fracture numérique ? Les élèves qui vont en tirer le meilleur profit ne sont-ils pas ceux qui ont, déjà, des situations très favorables, accentuant ainsi les inégalités ? L’usage des outils largement dominés par les grands groupes mondiaux (GAFA) n’est-il pas préjudiciable à nos usagers et contraire à une certaine éthique ?
  • Financières : si le confinement dure, les usagers vont sans doute demander des remboursements. Comment les collectivités vont-elles vouloir y répondre ? Les établissements autonomes (SIVU, EPCC, syndicat mixtes …) risquent d’être confrontés à des difficultés budgétaires insupportables. Jusqu’où le principe « il s’agit de droits d’inscription et non du paiement des cours » pourra-t-il être «entendable »?

Bien sûr, les questions sont si nombreuses et les enjeux pédagogiques et humains si complexes qu’il aurait peut-être été raisonnable de prendre le temps de la réflexion avant de se lancer tête baissée dans des expérimentations dont on ne perçoit pas encore vraiment les implications, les contradictions, voire les effets pervers… Il est vrai qu’il est parfois urgent de ne rien faire. Mais dans ce contexte, il eût été dommage de se priver d’une mobilisation aussi spontanée, au prétexte d’une production désordonnément féconde. Déjà on voit çà et là des ajustements, notamment dans les territoires qui, épidémie locale oblige, ont un peu d’avance sur les autres : on rectifie le tir, on se recentre sur ce qui parait le plus important, on prend en compte la charge des familles qui jonglent entre travail scolaire des enfants, télétravail des parents et gestion du confinement qui n’est pas toujours simple avec de jeunes enfants dont le cadre habituel est chamboulé… Bref, on s’adapte. Et comme dans toute expérimentation, il y aura des erreurs, des maladresses, voire même des bourdes, mais est-ce si grave au regard de l’élan collectif et de la coopération que cela aura fait naître ?

En revanche, on peut prendre le pari que, si la crise dure un petit peu, les pratiques pédagogiques en resteront durablement modifiées, et que chacun aura renforcé sa capacité à distinguer ce qui est vraiment essentiel.

En attendant, en avant toute et gardons bien le cap !

 

Catherine Baubin,

dégagée de toute responsabilité professionnelle, 

mais néanmoins observatrice solidaire