Extrait du dossier : Ensemble, tout de suite ! – Blog Note[S] 43 – Février 2018
L’apprentissage collectif instrumental, est-ce que ça vaut le coût ?
Alors que la question de l’entrée dans l’apprentissage instrumental « par le collectif » se pose de plus en plus souvent, on ne peut pas faire l’impasse sur le coût de chacun des modèles pédagogiques des conservatoires.
Que ce soient les détracteurs d’un virage qu’ils qualifient de « pédagogiste » ou les partisans d’une évolution qu’ils jugent indispensable, chacun évoque la question économique à un moment ou un autre.
Comparons :
Aujourd’hui, aucun directeur d’établissement public d’enseignement artistique ne peut balayer d’un revers de main les questions financières : les aspects budgétaires sont centraux dans les équilibres périlleux des collectivités territoriales employeuses ! Et cette question du « coût des différents modèles pédagogiques » est indépendante des volontés et des obligations d’économie que rencontrent en général nos établissements d’enseignement artistique.
Notre réflexion est centrée autour de la comparaison avec le coût pédagogique du modèle académique organisé autour du cours individuel d’instrument.
L’échelle de valeur utilisée est celle des dotations horaires mobilisées. A la différence des valeurs absolues chiffrées en euros, cette échelle d’heures permet d’éviter l’écueil de la prise en compte du statut des enseignants investis sur ces missions, indépendante de la matrice pédagogique.
Imaginons une étude de cas théorique
1) Dans un Conservatoire « X », les élèves instrumentistes inscrits en début de cycle I entament leur formation de la manière suivante :
• 30 minutes de cours individuel d’instrument ;
• 1h de formation musicale en groupe de 15 élèves.
Ce modèle pédagogique que l’on pourrait qualifier de standard (avec des nuances par établissement) mobilise donc pour une cohorte de 30 élèves, 17h hebdomadaire d’interventions pédagogiques. (1)
Ce chiffre correspond à 36 minutes par élève et permet à chaque élève de profiter de 1h 30 de formation et des compétences complémentaires de deux enseignants. Cela veut dire qu’à coût pédagogique constant, cet établissement qui veut faire évoluer ses dispositifs pédagogiques vers le collectif dispose de 17h d’enseignement à organiser selon son projet.
2) Continuons ce travail de modélisation théorique. Ce Conservatoire « X », opte pour nouveau mode d’accueil organisé de la manière suivante :
• 1 h de cours en petits collectifs mono-instrumentaux par groupe de 3 ou 4 élèves encadrés par un enseignant ;
• 1h de cours en grand collectif par groupe de 30 élèves encadrés par 3 enseignants ;
• 1h d’atelier pluridisciplinaire modulable avec un taux d’encadrement d’un enseignant pour 5 élèves (groupes de 5, 10, 15 élèves selon les besoins, les projets, les ateliers thématiques mis en œuvre).
Ce dispositif pédagogique mobilise 17 heures d’interventions pédagogiques (2) pour 30 élèves. Chaque élève bénéficie non plus de 1 h 30 mais de 3 h de formation ainsi que des compétences complémentaires non pas de deux mais d’au moins 5 enseignants.
Ce projet n°2, où il n’est pas question de contenus pédagogiques, de modularité d’accueils ou d’objectifs d’apprentissage fonctionne « en théorie», mais pose de nombreux problèmes d’organisation.
On peut cependant en tirer un enseignement : rien ne s’oppose sur le plan budgétaire et sur le plan qualitatif à la mise en œuvre d’une entrée instrumentale par le collectif sauf à considérer qu’une 1h et demie de cours hebdomadaires au contact de deux enseignants sont plus pertinentes que 3 heures de cours hebdomadaires au contact d’au moins cinq enseignants. Cela serait une curieuse manière de reconnaître l’expertise pédagogique et artistique des équipes des conservatoires.
En revanche, on pourra objecter qu’il est difficile –voire impossible– d’exiger trois heures de présence hebdomadaire lors de la première année d’apprentissage instrumental, considérant à juste titre que ce temps n’est pas (ou plus) en adéquation avec la disponibilité des élèves.
3) Poursuivons en simulant un collectif de 2 heures par semaine avec la maquette suivante :
• 1 h de cours en petits collectifs mono-instrumentaux par groupe de trois ou quatre élèves encadrés par un enseignant ;
• 1 h d’atelier pluridisciplinaire modulable avec un taux d’encadrement d’un enseignant pour 5 élèves (groupes de cinq, dix, quinze voire trente élèves selon les besoins, les projets, les ateliers thématiques mis en œuvre).
Ce dispositif pédagogique mobilise donc pour 30 élèves, 13 heures d’interventions pédagogiques (3). Ce chiffre ne correspondrait plus qu’à 26 minutes par élève mais chaque élève profiterait bien de deux heures de cours hebdomadaires contre une heure et demie dans la maquette académique.
On notera que cette organisation dégage une dotation horaire excédentaire de cinq heures par semaine par rapport à la maquette pédagogique dite « académique ». Entre aménagement d’une coordination du projet, densification des capacités d’accueils d’élèves débutants, renforcement horaires ou augmentation du taux d’encadrement d’autres niveaux, ouverture de nouvelles propositions dans d’autres champs disciplinaires ou en EAC, etc., les champs d’utilisation possible sont très larges.
Il est important de retenir :
• que les freins à l’évolution de nos dispositifs d’accueil ne sont pas économiques ;
• que la défense du fameux niveau d’exigence – que seul garantirait le cours individuel – semble mis à mal au regard de la plus-value que peut apporter la prise en compte de ce type d’évolution.
Une fois ces opérations faites, rangeons les calculatrices et faisons valoir le droit à l’évolution des modèles par et avec les équipes pédagogiques volontaires en la matière.
Aurélien DAUMAS-RICHARDSON,
directeur du CRR de Caen
(1) 15h pour les cours individuels + 2x1h pour 2 groupes de 15 élèves en FM
(2) (1hx8 groupes de 3 ou 4 élèves, cours en petit collectif) + (1hx3 enseignants de cours en grand collectif) + (1hx2 enseignants x3 ateliers par groupe de 10)
(3) 1hx8 groupes de 3 ou 4 élèves, cours en petit collectif + 1hx5 enseignants pour l’encadrement des ateliers
Quels bénéfices ?
Le format classique, facile à calibrer et à chiffrer, fait place à une multitude de dispositifs qui ont chacun leurs spécificités et donc leur coût.
Au-delà de la seule analyse chiffrée, la comparaison ne peut faire l’impasse sur l’analyse du projet global : pendant combien d’heures par semaine un élève bénéficie-t-il d’une pratique encadrée ? Quelle part prend dans cet emploi du temps la pratique instrumentale ?
En complément de cet exposé théorique, nous nous sommes donc livrés à une brève enquête portant sur les deux premières années d’apprentissage instrumental dans plusieurs établissements de tailles diverses ayant mis en place des dispositifs d’apprentissage collectif.
Ce qui apparaît de façon quasi généralisée, par rapport au fonctionnement précédemment en usage dans l’établissement, et quelle que soit l’organisation choisie :
- Le coût / élève n’est pas inférieur, et généralement proche de l’identique. Cela est principalement dû au taux d’encadrement des ensembles : deux, trois, voire quatre enseignants – ou plus – sont mobilisés simultanément pour un même groupe d’élèves. Les fluctuations relevées sont directement liées aux variations d’effectifs des groupes : par exemple, dans une même structure et à encadrement égal, le coût élève pour un ensemble de 18 élèves est supérieur à celui d’un ensemble de 24 élèves ; pour les collectivités, et notamment les moins importantes, on perçoit qu’il peut y avoir là une difficulté d’ordre prévisionnelle.
- Dans de nombreux établissements, un fonctionnement « classique » est maintenu, officiellement pour permettre d’absorber les « cas particuliers ». On peut légitimement se demander si ce maintien n’est pas parfois lié à des résistances d’enseignants ou de parents, désemparés par des changements qu’ils ne comprennent pas ou vis-à-vis desquels ils se sentent démunis.
- Pour un élève, le temps de pratique instrumentale encadrée est supérieur à la demi-heure habituelle (voire les vingt minutes) de cours en « face à face », parfois doublée ou triplée lorsque le professeur pratique une « pédagogie de groupe », se substituent généralement plusieurs temps de cours collectifs d’une durée supérieure et encadrés par plusieurs spécialistes.
- Dans la très grande majorité des cas, ces dispositifs incluent des temps de cours partagés par plusieurs enseignants. Cela implique de la part de ces derniers une concertation préalable et des préparations communes régulières.
- Apparaît également la multiplicité des dispositifs et des formats : du tout collectif aux formules « mixtes », de la persistance à la suppression du cours de formation musicale, de l’encadrement disciplinaire ou pluridisciplinaire, de la prédominance ou non de l’oralité dans ces débuts à l’instrument, la diversité des propositions témoigne de la capacité des équipes à apporter différentes réponses aux questions qu’elles ont été amenées à se poser.
Car il s’agit bien dans un premier temps de se poser des questions et notamment : à coût égal, quels sont pour les instrumentistes, pour les établissements d’enseignement artistiques et, plus largement, pour la collectivité, les bénéfices d’une entrée en musique par le collectif ?
Sophie KIPFER
Choisy-au-Bac : le collectif, c’est positif
Une expérience positive d’orchestre à vents dans le cadre des « nouvelles activités périscolaires », une inscription « massive » d’enfants en violon à la rentrée 2016, une enseignante motivée par l’approche collective, il n’en fallait pas plus pour expérimenter au sein même de l’Atelier musical de l’Oise un début d’apprentissage entièrement collectif.
Le fonctionnement
Les enfants participent à deux cours de groupe par semaine :
• Un cours d’1h ou 1h15 à 4 ou 5 enfants (mardi)
• Un ensemble à cordes d’1h 30, auquel
s’adjoignent des violonistes de 2e année et
une violoncelliste (12 enfants, samedi matin)
Les cours sont encadrés par le professeur de violon, et ponctuellement par des professeurs « invités » (cordes ou non). Les enfants ne suivent pas de cours de formation musicale.
Le contenu
• Une approche exclusivement orale : on chante, on joue. Régulièrement, le professeur laisse une « trace écrite », mais sans consignes de lecture à la maison.
• Un apprentissage par l’imitation : les enfants reproduisent ce qu’ils entendent et voient, après l’avoir chanté.
• Mais aussi un apprentissage par l’expérimen-tation : recherche de timbres et sonorités,
de bruitages, sound-painting.
Les effets constatés
• Une aisance corporelle incontestable, grâce à
la pratique bi-hebdomadaire encadrée, l’absence de pupitre et de partition.
• Une écoute très développée (des autres, de soi-même), notamment grâce à la polyphonie et aux réflexes d’ensemble.
• Une technicité supérieure à la moyenne au bout d’une année : justesse, places d’archet, agilité de la main gauche.
• Des habitudes d’entraide et de coopération entre enfants.
• Un plaisir de jouer évident.
Le coût
Pour 9 débutants, le coût ne diffère pas de celui d’un apprentissage classique pour débutant à l’Atelier musical de l’Oise :
Apprentissage CLASSIQUE Apprentissage COLLECTIF
Cours dits « individuels » de 20 mn→ = 3h Cours collectif, 4 élèves/cours = 2h15
Cours de FM avec 10 élèves/cours = 1h Grand ensemble =→ 1h30
Rapporté au temps de cours et à effectif égal, le dispositif demandait 15 mn de moins la première année. Ce quart d’heure hebdomadaire a été utilisé pour rémunérer les professeurs invités (en moyenne une fois par mois).
Un bilan positif qui n’a pas empêché de se poser des questions : sur la suite (comment intégrer de nouveaux débutants ? A quel moment introduire la lecture ?), sur le fonctionnement (quel support pour la maison ? Quelles contraintes ?), sur une éventuelle modélisation (est-ce applicable pour tous les instruments ? Par tous les enseignants ? ), etc. A suivre, donc…
Sophie KIPFER,
directrice de l’Atelier musical de l’Oise