Nouveaux publics, nouvelles pratiques… qu’est-ce que ça change ?

Culture métier

Repérer les changements dans notre environnement professionnel et identifier leurs conséquences, une première étape vers l’enracinement de l’établissement dans son temps et son territoire

L’histoire des conservatoires et des politiques culturelles a ouvert la voie à une diversification des publics et des pratiques, semant sur son chemin son lot d’évolutions. Cela influe sur l’offre pédagogique qui en est progressivement modifiée, et a forcément une incidence sur les activités des enseignants artistiques.
Repérer ces changements dans notre environnement professionnel et identifier leurs conséquences sont une première étape vers l’enracinement de l’établissement dans son temps et son territoire.

Petite histoire de la diversification…

Depuis presque quarante ans, la démocratisation culturelle fait son chemin, ouvrant de nouvelles voies dans nos établissements. Si la place des instruments d’orchestre est acquise depuis l’origine des conservatoires, il n’en est pas de même pour toutes les disciplines, telles les musiques traditionnelles, les musiques actuelles, la danse contemporaine, le théâtre etc. qui ont souvent apporté avec elles d’autres façons d’envisager la pédagogie artistique. Des notions telles que « transversalité » ou « interdisciplinarité » ont permis d’interroger et de bousculer les pratiques pédagogiques.
Les actions menées par les musiciens intervenants, quant à elles, participent à l’ancrage territorial des conservatoires et œuvrent activement à l’élargissement des publics.

Les collectivités territoriales, renforcées dans leurs responsabilités par les lois de décentralisation, affirment une politique culturelle de plus en plus volontariste à l’échelle locale. Pour la plupart, elles se positionnent fortement en faveur d’une éducation artistique et culturelle (EAC) ouverte sur la cité, accessible au plus grand nombre, et prenant en compte la diversité des cultures présentes sur le territoire. Enjeux culturels et enjeux sociaux se croisent à présent.

A la démocratisation a succédé la démocratie culturelle qui a elle-même ouvert la voie aux droits culturels. Ces nouveaux concepts inspirent au sein des conservatoires des pratiques nouvelles, comme par exemple la médiation ou la personnalisation des parcours.

«  Ce n’est pas « démocratiser la culture » que d’offrir « au plus grand nombre » l’attente de quelques-uns, donc la relation que ce microcosme entretient avec la musique et avec l’usage qu’il en fait. Pire, ce n’est pas de la « démocratisation », c’est de l’exclusion institutionnalisée […] L’enseignement n’est pas une finalité pour une école de musique, mais plutôt l’une des formes de sa contribution au développement, à la qualification et à la valorisation des pratiques individuelles et collectives de la musique sur un territoire.» (Jean-Claude Wallach)

 

Diversifier les pratiques pédagogiques et artistiques afin de permettre à chacun d’être sensibilisé puis accompagné dans sa démarche quel que soit son projet, est donc devenu un des grands défis des conservatoires aujourd’hui.

L’enseignant artistique, un équilibriste aux facettes multiples ?

Doit-il faire le grand écart entre enseignement spécialisé, éducation artistique et culturelle, médiation et rayonnement sur le territoire ?
La représentation historique du métier ne concorde plus avec ces évolutions qui imposent des changements réels et profonds, au-delà de la formation initiale des enseignants artistiques.
De ces nouvelles missions découlent des activités inédites qui ont transformé, en quelques décennies à peine, le quotidien des enseignants, de leurs emplois du temps aux objectifs fixés, en passant par la multiplication des lieux d’interventions ou des profils des usagers.

Nos modèles sont bousculés : les parcours personnalisés interpellent les cursus, les ateliers ponctuels fleurissent alors que les cycles d’apprentissage sont sur la sellette, les pédagogies collectives s’épanouissent…
Comment conduire les enseignants vers une mobilisation et une appropriation de ces mutations ?

Le directeur, un super-héros au cœur d’une équipe d’équilibristes ?

Le métier de directeur a lui aussi bien changé. Il peut aujourd’hui être un musicien, danseur ou comédien, dans tous les cas un pédagogue engagé empreint de fortes convictions. Ultra sensibilisé aux enjeux de service public, il ou elle a d’importantes responsabilités en termes d’expertise, de gestion administrative et de relations avec l’ensemble de la collectivité. Les fortes contraintes du contexte actuel invitent les politiques publiques à évaluer le projet et les actions du conservatoire dans ses moindres détails. Mais peut-on tout peser et mesurer?

D’une organisation hiérarchique très verticale, nous évoluons vers une gestion plus transversale des équipes. Car si l’autonomie des enseignants artistiques a toujours existé, la multiplicité de leurs activités et des publics auxquels ils s’adressent transforme aussi leurs relations avec la direction : plus de collaboration, plus d’engagement, plus de responsabilités. Le directeur va davantage impulser un travail collectif, instaurer de la confiance, clarifier et partager le projet d’établissement, fixer des objectifs et orchestrer l’ensemble dans un tout cohérent.

Transformer les contraintes en opportunités

Le rôle du directeur est de donner les outils aux enseignants et les moyens à l’établissement pour que les nouveaux publics, les nouvelles missions, les nouvelles pratiques pédagogiques et artistiques convergent en un projet global. Son défi est de susciter l’intérêt et l’envie des équipes d’explorer le nouveau champ qui s’offre à eux : comprendre d’où vient cette diversification et comment en faire une force de créativité et de proposition. Heureusement, les conservatoires disposent d’une ressource infiniment précieuse : une équipe d’enseignants créatifs et passionnés, eux-mêmes très divers dans leurs approches pédagogiques et leurs expériences artistiques et humaines. Appuyons-nous sur leurs complémentarités et leur adaptabilité. Encourageons l’expérimentation, la recherche, l’ouverture et la perméabilité. Revisitons nos pratiques artistiques et pédagogiques au bénéfice de tous les publics, qu’ils soient éloignés, experts, fragiles ou passionnés ! Nous contribuerons ainsi à l’élaboration des conservatoires de demain.

Myriam Sibaï
Directrice-adjointe du CRD de Lorient