La belle équipe

Pédagogie

Extrait du dossier : Ensemble, tout de suite ! – Blog Note[S] 43 – Février 2018

De la complémentarité dans les équipes pédagogiques…

Travailler en équipe, faire équipe, constituer une équipe, avoir l’esprit d’équipe… Loin de se limiter au domaine sportif, les tournures ne manquent pas qui évoquent ce groupe particulier constitué pour réaliser œuvre commune.
Qu’est-ce qu’une équipe au sein de nos établissements ?
Et si plutôt qu’une addition de personnes, on la considérait comme une entité, multiforme et hétérogène, mais unique et singulière ?

La constitution des équipes pédagogiques, modélisée sur le fonctionnement historique du conservatoire, procède par juxtaposition de disciplines, de compétences. Chaque enseignant, expert dans sa propre discipline, dispose des mêmes compétences que ses collègues, mais appliquée à une technique différente. Il y a peu de différences, sur le plan des compétences, entre un professeur de basson et un professeur de violon si ce n’est l’instrument qu’il enseigne. De même, dans l’enseignement général, il y a peu de différence entre un professeur de maths et un professeur de langues, si ce n’est la discipline qu’ils enseignent.

Toutefois, chaque discipline (instrumentale ou d’enseignement général) por­teuse de ses propres contraintes, met en avant des compétences spécifiques alors que le socle des compétences techniques et pédagogiques reste bien le même. C’est une situation tout à fait particulière, dans un environnement professionnel, que d’avoir autant de personnes qui ont exactement les mêmes compétences, mais sur des « objets » différents, ce qui les rend à la fois uniques, non-interchangeables… et similaires.

Certains enseignants, dont les disciplines sont plus transversales (formation musicale, chefs de chœurs ou d’orchestre, disciplines dites « d’érudition ») pourraient apporter une vision plus globale de l’élève ou de l’enseignement. Mais l’organisation même de l’enseignement artistique, avec son empilement des savoirs, les cantonne généralement dans le rôle d’une discipline dite « complémentaire ».

On ne sait alors pas trop si elle est indispensable, essentielle ou simplement obligatoire, tant le système sur lequel est encore trop souvent fondé l’enseignement des conservatoires tend à considérer l’apprentissage de l’instrument comme central et les autres disciplines comme périphériques.

Ensemble hétérogène…

Pourtant chaque enseignant, qu’il soit chargé d’une discipline « généraliste » ou instrumentale, est une personne avec ses richesses et son histoire. Ses compétences ne peuvent se réduire à sa seule capacité à transmettre une discipline telle qu’elle a été définie par un modèle de référence.

Les parcours sont aujourd’hui multiples, et les enseignants tous différents : une équipe pédagogique n’est plus l’agrégation de spécialistes, dont la seule différence consiste en la technique qu’ils enseignent, agrémentée de quelques géné­ralistes garants d’une certaine transversalité.

C’est plutôt un ensemble hétérogène de musiciens, danseurs et comédiens dont le savoir disciplinaire dans leur spécialité –celle pour laquelle ils ont été choisis- s’est enrichi et développé (répertoires, place de l’écrit, de l’oralité, des nouvelles technologies, du collectif, de l’interdisciplinarité au sein du « programme instrumental ») et qui ont par ailleurs développé des compétences, connaissances et savoir-faire « annexes » qui font la richesse de leur enseignement, au même titre souvent que leur seule compétence officielle.

Et si l’on considérait une équipe pédagogique comme un tout, plutôt que comme un agrégat de personnalités ? Si l’on imaginait plutôt comment mettre à profit des complémentarités de compétences plutôt que d’attendre que chacun ait toutes les compétences qu’on attendrait aujourd’hui d’un enseignant ?

…ou être improbable

Oui, l’enseignant idéalisé d’aujourd’hui doit, outre la maîtrise de sa discipline propre, être capable d’encadrer des pratiques collectives, de chanter, de jouer d’un instrument, d’apporter une dimension artistique aux actions mises en place, d’animer des séances de sensibilisation ou d’initiation, de travailler en partenariat avec des acteurs différents (petite enfance, écoles maternelles ou élémentaires, collèges, lycées, jeunes, vieux, handicapés, publics éloignés etc.), de s’intéresser aux musiques actuelles et aux esthétiques émer­gentes, de maîtriser les nouveaux outils numé­ri­ques tant pour l’organisation de son travail que dans sa pédagogie, d’être un interlocuteur efficient pour les familles, de travailler en parfaite symbiose avec l’administration, de se tenir au courant des politiques culturelles à tous les niveaux, d’être porteur du projet d’établissement mais aussi du projet culturel de sa collectivité…

Bref, ce n’est plus le fameux mouton à cinq pattes que l’on recherche, mais un être improbable dont la multiplicité des pattes assurerait des compétences dans tous les domaines.

La belle équipe

Et pourtant, si l’on regarde de plus près nos équipes pédagogiques, souvent on peut constater que toutes ces compétences – voire bien d’autres encore – y sont présentes, mais réparties sur plusieurs personnes : un tel est un geek confirmé, passionné des nouvelles technologies et de leur usage dans l’enseignement, celui-ci a développé une connaissance et une capacité de réponse auprès des publics en situation de handicap, celui-là est toujours à la pointe des informations politiques et culturelles, et un autre a développé une pédagogie qui fait merveille auprès des adolescents …

La question, alors, n’est plus « comment trouver des enseignants qui, au-delà de leurs seules compétences disciplinaires, répondent à toutes les attentes qu’on pourrait avoir », mais plutôt « comment organiser la complémentarité au sein d’une équipe et faire en sorte que les compétences particulières des uns nourrissent la pratique des autres » et que l’équipe pédagogique dans son ensemble puisse faire face aux défis d’aujourd’hui et de demain ?

Mais est-ce que cette complémentarité, peut vraiment s’organiser, s’institutionnaliser ? Elle existe déjà de façon informelle, pragmatique et la salle des profs ou la machine à café sont propices à ces échanges : « toi qui t’y connais en … (musique du bas-languedoc, ampli des années 50, prononciation du russe, adolescents mous, logiciels de création musicale libres …) pourrais-tu m’aider sur telle ou telle question ? ».

Faire circuler les élèves

Il faudrait tout d’abord identifier toutes ces compétences puis organiser leur circulation, imaginer des échanges de savoir entre pairs. Mais il faudrait également que l’ensemble de l’équipe pédagogique se sente responsable de la formation de l’ensemble des élèves.

Chaque élève devrait pouvoir bénéficier – de façon continue ou de façon ponctuelle, selon les cas – des compétences spécifiques que l’ensemble des enseignants peut mettre à sa disposition. Mais en général il ne bénéficie que des compétences des enseignants des cours dans lesquels il est inscrit ce qui limite considérablement le champ des possibles (malgré la richesse que cela représente déjà) : si le professeur de violon est un fan de musique du Bas-Languedoc, il est bien dommage que les non-violonistes qui s’intéressent à cette musique n’y aient pas accès, et si le professeur de saxophone est particulièrement habile avec les « adolescents mous », c’est bien dom­mage pour ceux qui ont choisi un autre instrument.

Faisons tomber les cloisons, circuler les élèves, rendons-les acteurs de leurs apprentissages et de leur projet en mettant à leur disposition les res­sources d’une richesse inouïe que représentent les compétences cumu­lées de tous les enseignants.

Catherine BAUBIN,

ancienne directrice  de conservatoires

 

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