Supprimer les examens, c’est possible !

Pédagogie

Je réponds à l’invitation de CdF d’apporter un témoignage sur l’expérience et le travail de l’équipe pédagogique du CRC de Meyzieu autour de l’évaluation et du suivi des élèves.

La démarche d’élaboration des dispositifs de suivi et d’évaluation s’est déroulée durant les années 2007 à 2009 et poursuivie jusqu’en 2010 pour la finalisation des supports papier et informatiques. Ce travail de longue haleine a été possible grâce à l’investissement de tous les professeurs dans un vrai processus de concertation, d’intelligence collective. Mises en œuvre l’année 2008/2009, voilà déjà six ans que ces dispositions sont en vigueur pour la plus grande satisfaction de tous, enseignants, élèves et familles.

Quelques mots du contexte :

Le Conservatoire de Meyzieu compte certainement parmi les benjamins des établissements publics d’enseignement artistique. Municipalisée en 2002, la petite école associative de 272 élèves a alors entamé une progression fulgurante (aujourd’hui près de 700 élèves fréquentent le conservatoire). En parallèle, les étapes de structuration se sont succédé, aboutissant en 2010 au classement par le Ministère de la Culture comme Conservatoire à Rayonnement Communal. Au préalable, l’école s’était dotée d’un premier projet d’établissement et règlement des études, fruit d’une large concertation rassemblant autour de l’équipe, les élus et partenaires publics et associatifs. La période était exaltante et le soutien des élus sans faille : l’équivalent de 5 temps plein d’enseignement créés entre 2008 et 2009, ces développements se prolongeant sur les années suivantes ; l’avenir était des plus ouvert ! Il s’agissait de penser les fondations de cet établissement en devenir, de poser les objectifs, les valeurs, d’imaginer les cheminements nous permettant d’y parvenir. De nombreux chantiers ont été lancés : projets individualisés d’élèves, entrée en musique par la pratique collective grâce à un partenariat fort avec un collège… Et, ce qui a été le point central de ce premier règlement des études : l’évaluation et le suivi des élèves.

La phase d’élaboration du nouveau dispositif d’évaluation :

Les enseignants ont été au cœur de la démarche, les réunions de chantier pédagogiques se sont succédé, depuis la conception de la démarche jusqu’à l’élaboration des supports matériels. Valérie Louis est intervenu à ma demande, pour une formation en deux temps : au début de la démarche, pour deux jours d’apport de connaissances fondamentales, de bases de travail communes puis, un an plus tard, pour un porter un regard extérieur sur le travail réalisé par l’équipe et lancer l’élaboration des référentiels (comment fixer des objectifs de progression, de réalisation?)

Les débats ont été riches et animés comme vous pouvez l’imaginer. J’avais à la fois une vision assez claire de là où je souhaitais mener l’équipe en termes de valeurs, objectifs généraux mais, par principe, aucune idée préconçue de la forme finale de notre dispositif. Car plus qu’un consensus, l’unanimité me semblait nécessaire ; les professeurs allaient le faire vivre auprès des élèves, ils devaient donc réellement l’habiter. Cette phase s’est déroulée alors que nous avions déposé notre demande de classement auprès du Ministère de la culture. Une discussion avec Michel Cukier venu inspecter l’école à l’automne 2008 m’a confortée dans cette direction.

Une majorité de professeurs était comme moi convaincue de la nécessité abandonner complètement la notation, les examens mais sans savoir pour autant par quoi les remplacer. Et pour autant, tous ne partageaient pas cet avis, d’autres, bien que conscients des limites du système en place pensaient : « la réussite de l’examen est valorisante », « cela motive les élèves », « cela permet de faire le point », « cela marque le passage de cycle, officialisant la validation », « le dialogue avec le musicien invité comme jury est important pour les élèves dans les conseils donnés et aussi pour le professeur en posant un regard extérieur sur sa classe »…

Du côté des arguments en faveur de leur suppression le constat maintes fois réitéré, d’élèves jouant moins bien pour l’examen qu’en temps habituel, du stress négatif ressenti par tous bien différent d’un trac fertile, et surtout du manque de sens d’une évaluation qui malgré tous les mesures destinées à l’adoucir (examens sous forme de concerts publics, discours rassurant tenu aux élèves…), n’en demeure pas moins jugement posé de l’extérieur sur un instantané, sans rapport avec une pédagogie du cheminement dans la durée, de la responsabilisation, de la recherche d’autonomie.

L’équipe s’accordait sur le fait de ne pas « brader » ces passages de cycle ; nous tenions à certifier réellement d’un niveau d’acquis. Tous les avis, toutes les idées ont été écoutés, nous nous sommes interrogés point par point, cherchant d’autres moyens de parvenir aux mêmes fins : motiver les élèves, valoriser, marquer le passage, faire le point c’est à dire prendre du recul, poser son regard sur le chemin parcouru. Le travail avec Valérie Louis a rassemblé l’équipe autour des valeurs d’une évaluation formative, au cœur de la pédagogie. Le rôle du « jury extérieur » semblait vraiment central dans l’attachement de certains aux examens et ce point a été le levier permettant de lever les réticences, le jour où a émergé une idée très simple : faire venir ce fameux musicien invité non pas en tant que jury mais pour une master-class destinée spécifiquement aux élèves en fin de cycle. L’effet a été radical, l’adhésion de tous était emportée et nous avons pu entrer réellement dans la phase de construction du dispositif en faisant graviter autour de cette idée de master-class l’ensemble de nos objectifs et de nos valeurs.

Le chantier a été découpé en trois grands chapitres :

  • élaboration de dispositif de fin de cycle ;
  • le plus long et le plus délicat : l’élaboration de l’ensemble des référentiels de compétences ;
  • élaboration des outils concrets.

Description du dispositif :

Les supports références :

  • Un règlement des études dans lequel sont décrits les dispositions d’évaluation mais aussi, de façon générale, les objectifs à atteindre pour chacun des 3 cycles ;
  • Des paliers de compétences déclinant par discipline instrumentale les objectifs généraux. Ces référentiels constituent le support du dialogue élève / professeur à l’approche de la fin de cycle. Le professeur peut introduire cet outil quand cela lui semble utile, l’année de la fin de cycle, l’année précédente.

Deux conditions sont nécessaires pour passer das le cycle supérieur :

  • L’élève doit avoir vérifié et nous avec lui, qu’il a acquis l’ensemble des compétences de ce palier. Ce processus se déroule dans le temps ; on peut constater à un instant T qu’une compétence est acquise, une autre encore fragile et la troisième à peine abordée et quelques mois plus tard objectiver les progrès et l’acquisition d’une ou plusieurs autres compétences. Tout ceci est consigné au fur et à mesure dans les livrets des élèves. Le support étant informatique, les professeurs peuvent saisir à tout moment de nouvelles données et les élèves les consulter de chez eux.
  • Il doit également avoir réalisé un parcours correspondant à son niveau :avoir travaillé et joué en public plusieurs morceaux (3, 4, 5 selon l’instrument, la longueur et la difficulté) définis à l’avance sur une liste pré-établie par le professeur. La liste de morceaux travaillés et les dates des prestations publiques sont également consignées dans les dossiers des élèves.

Lorsque ces deux conditions sont réunies, je dis souvent aux élèves que pour les féliciter de leur parcours au long des années écoulées, nous leur offrons deux cadeaux :

  • Le premier est un cours, la fameuse master-class, avec un musicien invité durant lequel ils présentent le morceau de leur choix parmi ceux travaillés au cours de l’année. La durée de la master-class pour chaque élèves est de 30 min en cycle 1, 45 min en cycle 2 et 1h en cycle 3, tous s’écoutent les uns les autres bien sûr. Pour les préparer, nous renforçons également le temps d’accompagnement piano ou autre qui leur est alloué. La date, l’œuvre choisie, le nom du musicien invité et un bref compte-rendu de la master-class sont saisis dans les dossiers des élèves.
  • Le second est un concert (ou plutôt 3 ou 4 concerts au vu du nombre d ‘élèves), particulièrement valorisé dans notre saison organisé quelques semaines après la master-class et qui permet aux élèves de rejouer en public l’œuvre choisie. A partir du 2ème cycle, le musicien qui a donné la master-class, assiste également au concert afin d’enrichir les retours faits à l’élève d’éléments concernant sa manière d’aborder la scène et l’évolution de son interprétation depuis la master-class.

Le même principe (vérification de l’acquisition des compétences et parcours à réaliser) est appliqué à la formation musicale et validé uniquement pendant les cours. Cependant, pour le cycle 2, l’aboutissement du parcours demandé étant la réalisation d’un arrangement (conducteur plus parties) pour un ensemble instrumental ou mixte (soit la formation du groupe classe de formation musicale soit un des nombreux ensembles du conservatoire) ; ces arrangements sont présentés en public à chaque fois que c’est possible.

La pratique d’ensemble étant non seulement obligatoire mais au cœur de l’enseignement ce dès la première année, la participation régulière depuis le début du cycle à au moins un ensemble hebdomadaire et aux prestations publiques associées vaut validation. Ces données sont également consignées dans les dossiers des élèves. Pour le second cycle, une pièce d’ensemble est également jouée lors du concert de fin de cycle. Des spécificités selon les répertoires (jazz, musiques actuelles, baroque…) viennent parfois amender ces principes généraux. Enfin, pour le CEM, la partie instrumentale est évaluée selon les mêmes principes mais nous avons ajouté un dispositif spécifique centré sur l’envol vers la pratique amateur.

Le calendrier est souple. La plupart des master-class ont lieu au printemps pour des concerts de fins de cycles fin mai début juin. Mais il nous arrive régulièrement de décaler ce planning et de valider la fin de cycle d’un ou plusieurs élèves en décembre, en février… quand il est prêt.

Il va sans dire que dans ce dispositif, personne n’échoue. Tout élève participant à la master-class et au concert de fin de cycle est en quelque sorte déjà dans le cycle supérieur. Cependant, tous les élèves ne poursuivent pas leur parcours musical dans le cursus par cycle. Certains, en fin de 1er cycle ou de 2ème cycle choisissent de s’orienter en parcours « projet » où un parcours personnalisé et contractualisé leur est proposé. Ils peuvent plus tard réintégrer le parcours par cycle. Cette orientation se déroule pour certains après avoir validé le passage de cycle mais ce n’est pas obligatoire, et d’autres poursuivent en parcours projet sans avoir franchi cette étape.

En parallèle, des outils d’auto-évalusation ont été créés. Il s’agit de modèles simples entièrement adaptables par l’enseignant à la situation concrète évaluée.

Bilan 5 ans après la mise en oeuvre

Dès la première année, élèves, familles et professeurs ont plébiscité ces nouvelles dispositions. Les concerts de fin de cycle sont de vrais moments de musique : quel bonheur d’entendre des élèves pleinement investis interpréter une œuvre vraiment murie !
Nous n’avons constaté aucune baisse de niveau des élèves, bien au contraire ! Mais cependant, je dois avouer que nous n’avons pas ressenti le besoin ou eu le temps de mettre en place une méthode objective d’évaluation du dispositif lui même. Les conditions nécessaires au passage de cycle, le niveau difficulté des œuvres proposées par les professeurs sur les listes, la qualité des prestations des élèves lors des concerts de fin de cycle nous semblent suffisamment éloquents. Le nombre d’élèves passant dans le cycle ascendant a fortement augmenté mais rien d’étonnant à cela au vu de la progression des effectifs.

Le dispositif répond pleinement aux objectifs fixés : il permet aux élèves d’être acteur de leur progression, en exerçant eux même un retour réflexif sur leurs apprentissages. L’élève sait par lui même qu’il passe dans le cycle supérieur puisqu’il a vérifié qu’il a acquis les compétences nécessaires et réalisé le parcours demandé. Il n’attend pas qu’un avis extérieur l’autorise à y accéder. Ce changement de positionnement de l’élève constitue l’élément fondamental de cette démarche.

Mais ailleurs, l’intérêt pédagogique et artistique de la master-class évident pour les élèves comme pour les professeurs ; le plaisir d’approfondir et la satisfaction pour l’élève d’avoir fait quelque chose de bien et de l’avoir partagé ne sont pas à négliger pour autant. La valorisation, le rituel marquant le franchissement d’une étape sont aussi présents au travers la master-class et le concert.

Pour l’anecdote, les élèves n’ayant pas connu d’autres modalités de suivi, n’imaginent même pas que des examens puissent ou aient pu exister. Je me souviens en particulier d’une élève m’annonçant l’air effaré

« mon cousin dans son école de musique, il passe des examens chaque année et on lui met des notes et si il rate, il redouble. Mais en musique, c’est pas comme à l’école, on fait les choses et on progresse comme ça en faisant, ce n’est pas possible de mettre des notes ni redoubler. »

Un bilan enthousiaste donc, mais les difficultés dans la mise en œuvre n’en sont pas moins réelles.
Disons le tout de suite, un tel fonctionnement demande à tous (professeurs, équipe de direction, secrétariat) un investissement considérable en temps de travail. Tout d’abord, comme il a été dit plus haut, au moment de l’élaboration du dispositif, puis de la rédaction des référentiels de compétences par discipline et par cycle nécessitant la mise en commun d’une première mouture, retravaillée pour donner une cohérence à l’ensemble…. L’élaboration des documents « mode d’emploi de la fin de cycle » et surtout la création, la saisie et la vérification des modèles personnalisés dans le logiciel (un référentiel représente neuf rubriques qui comptent chacune trois à six compétences rédigées. Il y a dix disciplines et trois cycles. Je vous laisse faire le calcul du volume de données à saisir… Je ne parle pas des dysfonctionnements ou limites du logiciel dont la conséquence a été de devoir trop souvent recommencer le travail), tout cela a représenté un travail titanesque.

Ensuite au quotidien, il faut encore beaucoup d’énergie et de rigueur pour faire vivre le dispositif.
Chaque année, il faut recenser les élèves concernés, ouvrir individuellement dans le logiciel le modèle correspondant. Les salles n’étant pas dotées de matériel informatique, les professeurs utilisent le support papier pour nourrir le dialogue pédagogique dans les cours puis, deux ou trois fois dans l’année ils retranscrivent dans le logiciel le bilan réalisé avec l’élève. La tenue rigoureuse des dossiers des élèves pour qu’y soient recensées toutes les données nécessite un investissement important du secrétariat et une communication sans faille avec les professeurs. J’ai rédigé des fiches procédures, détaillant « qui fait quoi » tout au long du processus mais au bout de cinq ans, après avoir modifié plusieurs fois les procédures de remontée des informations, nous n’avons pas réussi à atteindre une efficacité optimale et, à mes yeux, encore trop de dossiers élèves sont incomplets ou remplis d’un coup en fin d’année.

L’autre point très exigeant dans le fonctionnement quotidien de l’établissement est la communication au sein de l’équipe. À chaque fois qu’un nouveau professeur est recruté, pour les remplaçants, mais aussi pour les enseignants ayant peu d’heures à Meyzieu et se partageant entre divers établissements dans lesquels de tout autres principes d’évaluation sont à l’œuvre il faut expliquer, discuter longuement afin que chacun s’approprie vraiment la démarche.
Autre difficulté, est d’arriver à une cohérence suffisante dans l’utilisation des outils par une quarantaine de professeurs. Là encore, la concertation est de mise. Ainsi, l’an dernier, j’ai pris la peine de lire tout au long de l’année, toutes les fiches renseignées par les tous professeurs. J’ai constaté des divergences importantes ; en réponse j’ai proposé une réunion annuelle des professeurs concernés par des passages de cycle ; encore du temps demandé à l’équipe…

Nos « modes d’emploi » destinés aux élèves, nos référentiels ont cinq ans. Jeunes et pourtant, ils portent l’empreinte du contexte qui a prévalu à leur élaboration et me semblent largement perfectibles. Un toilettage ne serait certainement pas inutile, mais il faudrait encore du temps…

D’autres établissements ont peut-être, dans le même esprit, mis en place autre chose, proche ou radicalement différent sur la forme. Échanger avec ces équipes, m’intéresserait beaucoup, la confrontation de nos tâtonnements respectifs serait certainement féconde en particulier dans le partage des solutions concrètes aux multiples petites difficultés quotidiennes qui alourdissent ce bel idéal.

Du temps il en nous faut beaucoup pour élaborer les nouveaux projet d’établissement et règlement des études qui prendront effet début 2015 et l’évaluation est un chantier parmi d’autres, aussi importants. Ainsi, nous avions lancé également en 2008/2009 des parcours personnalisés pour lesquels le bilan est moins flatteur. Nous avons cerné les erreurs et lacunes (et les points positifs aussi !) de cette première tentative et nous voilà à nouveau à l’œuvre. C’est une thématique centrale et vraiment passionnante, la mise en œuvre des nouveaux cursus est prévue à partir de la rentrée 2015. Mais c’est une autre histoire…

Malgré cette impression de chantier jamais achevé, je suis définitivement convaincue de la pertinence de la démarche, plus que cela même, j’en suis devenue militante pour promouvoir une évaluation humaniste tellement consubstantielle de nos disciplines artistiques. Je suis convaincue également que ce dispositif ne saurait être plaqué tel quel dans un autre établissement, le succès étant largement conditionné à une longue maturation par l’équipe. Alors, en toute modestie, malgré l’énergie nécessaire et même si, il y a l’idéal inscrit sur papier et les petits arrangements avec la réalité, je vous l’assure, le jeu en vaut vraiment la chandelle.

Marion Fourquier,

Directrice du Conservatoire à Rayonnement Communal de Musique et d’Art Dramatique de Meyzieu (69)

je tiens à disposition de ceux qui seraient intéressés quelques exemples de nos documents supports.